AFRICANDO
Paris le 14/11/2006 –
Septième album du groupe Africando, Ketukuba est un hommage au chanteur Gnonnas Pedro. Il signe également l’arrivée d’une nouvelle génération d’interprètes et s’enrichit des couleurs de la salsa new-yorkaise. Rencontre avec Ibrahima Sylla, fondateur du groupe et producteur.
RFI Musique : Le titre de ce septième album, Kutukuba est un mot fon (langue béninoise) qui réaffirme les liens entre l’Afrique et Cuba. Pourquoi ce titre ?
Ibrahima Sylla : C’est un titre de Gnonnas Pedro disparu en 2004. Nous voulions lui rendre hommage. C’était un des pionniers d’Africando. Il nous avait rejoint en 1996, pour l’enregistrement de Gombo salsa et avait fait souffler sur le groupe l’esprit du vaudou. Nous avions fait les prises de voix de Ketukuba à Abidjan mais le morceau a été finalisé à New York. Il n’a jamais pu l’entendre terminé.
Boncana Maïga est de moins en moins présent dans les arrangements du groupe. Pourquoi ?
Il est moins présent depuis l’album Martina sorti en 2003. Il est très occupé et anime aujourd’hui une émission de télévision. De plus, il fallait amener un nouveau souffle. Il y a aujourd’hui trois nouveaux arrangeurs mais Boncana intervient sur trois titres et c’est toujours lui qui fait la programmation.
Les compositions et les arrangements sont pour la plupart assurés par des compositeurs arrangeurs latinos. Qu’apportent-ils de spécial ?
Le pianiste Alfredo Rodriguez apportait la touche cubaine, le son. Lui aussi a disparu avant d’avoir pu écouter le mixage de ses créations. Nelson Hernandez est vénézuélien et vit à New York. Il a amené les nouvelles tendances musicales de la salsa new-yorkaise qui marie les musiques portoricaines, colombiennes et la salsa de Miami. Miguel Gomez, enfin, qui est espagnol a travaillé avec les salseros de Paris. L’idée dans cet album était de transmettre l’esprit des descargas, ces jam-sessions des années 1940 entre jazz et salsa.
Justement, en enregistrant l’album dans des lieux différents, l’Afrique, Paris et New York, n’y avait-il pas un risque de perdre ce côté « live » des descargas ?
Non car je faisais le lien entre les musiciens et les arrangeurs. Je contrôlais tout. Une fois à New York, j’ai veillé à ce qu’on ne dénature pas les apports de chacun. Par exemple, le titre Fatalikou est une guajira. La voix et le jeu de guitare enregistrés à Dakar donnaient à ce morceau ce sentiment de tristesse, très différent du reste de l’album. J’ai beaucoup insisté pour qu’on ne touche à rien.
La salsa en Afrique a longtemps été considérée comme la musique des anciens. Quelle est sa place aujourd’hui sur la scène africaine ?
Depuis le succès d’Africando, elle revient sur le devant de la scène. Il faut dire que la salsa a beaucoup évolué sur le plan technique. Et elle apporte les nouvelles sonorités venues de New York.
Contrairement à d’autres courants comme le rap, le mbalax, la salsa donne l’image d’une Afrique optimiste, celle des indépendances. Peut-elle être le reflet de l’Afrique actuelle ?
Dans les années 1950/60, les gens étaient moins conscients qu’aujourd’hui et ne parlaient pas de sujets graves. Nous avons donc éprouvé le besoin d’adapter certains textes comme Doni Doni du Bembeya Jazz (en 1994) en parlant de sujets comme la démocratie. Dans le prochain album, il y aura un titre, Djiguen, évoquant les problèmes des femmes, l’excision, les femmes battues.
On note dans Ketukuba l’arrivée de nouveaux chanteurs comme Bass Sarr, Pascal Dieng et Ledia Mansur, le fils de Medoune Diallo. Pourquoi ce choix ?
Ils apportent des influences nouvelles : Bass Sarr et Pascal Dieng font partie de la nouvelle scène salsa du Sénégal (les groupes Afro Salsa et Super Cayor), Ledia Mansur, lui, est un chanteur de r’n’b. Il a chanté en duo avec son père dans Këer, un titre de sa composition et c’est lui qui expliquait à ce dernier comment il voulait interpréter le morceau. Quand on a finalisé à New York, c’est ce titre qui a le plus séduit les Américains.
Dans cette rencontre entre l’Afrique et l’Amérique latine, on peut noter une dominante wolof et mandingue. Comment s’effectue le dialogue musical ?
Ça marche très bien. Par exemple, quand je suis arrivé à New York, j’ai fait écouter aux musiciens le titre Sagoo sorti en K7 à Dakar il y a trois ans, un style que l’on nomme là-bas « le mbalax salsa ». Quand les New-yorkais l’ont écouté, ils ont dit : « Mais c’est de la cumbia !! ». Le lien s’est fait naturellement.
Dans cet album, vous reprenez le tube Mario du Congolais Franco. Un clin d’œil à l’Afrique centrale ?
Dans chaque album, nous rendons hommage à un artiste qui a contribué à l’histoire de la musique africaine. Dans Doni Doni, c’était le Bembeya Jazz, dans Gombo Salsa, Rochereau. Aujourd’hui, c’est le tour de Franco. Et nous avons choisi Madilu pour l’interpréter car il avait déjà repris le titre en 1986/1987. C’était pour lui très émouvant d’écouter la version finalisée.
Depuis 1993, avec la légalisation du dollar et la réhabilitation de la salsa, musique des exilés, Cuba est accusé de brader ses artistes (10 $ par artiste par concert) et de faire ainsi une concurrence déloyale aux autres salseros ? Qu’en pensez-vous ?
C’est vrai. À New York, les artistes se plaignent de ne plus gagner leur vie correctement. Quand vous voyez de grands noms comme Aragon payés 1000 $, il y a un vrai préjudice. Africando demande un cachet raisonnable mais a quelques fois du mal à l’imposer. Mais je ne veux surtout pas parler politique.
Des tournées prévues pour la promotion de cet album ?
Dans l’immédiat, nous jouons en Hollande et en France. Et à partir de février 2007, nous ferons une tournée mondiale d’un mois en demi qui nous conduira en Europe et en Amérique.
Africando Ketukuba (Syllart Production/Discograph) 2006
En concert du 16 au 18 novembre au New Morning à Paris.
Sylvie Clerfeuille